portraits de mandjoushri
une quête de paix
500+ portraits d'une communauté bouddhiste que je porte dans mon cœur
RÉALISATION DES PORTRAITS
CONTENU DE CETTE SECTION:
1. Pourquoi le noir et blanc ?
2. Accompagnement des photographiés: au delÃ
5. Réactions spontanées au projet
1. Pourquoi le noir et blanc ?
De mon point de vue, le noir et blanc permet plusieurs choses :
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Il est plus essentiel. Il fait ressortir les lignes de chaque visage, sa structure. Il simplifie l’image et tend à faire du visage une signature.
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Il est plus universel. Il crée un point commun fort entre les sujets, en uniformisant les couleurs des vêtements, de la peau, des logos de marques
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Il est plus intemporel. Sans ses attributs de couleur, la photo est moins datable. Elle est donc difficile à différencier d’une photo du passé. Il en sera de même dans 20 ans.
J’ai gardé la même approche avec les photos de la section « manjushri » (essentiellement des bâtiments, des objets et des statues). Ils sont largement assez puissants pour êtres dépourvus de couleurs. En un sens, ils sont même plus puissants et plus significatifs avec cette approche essentielle-universelle-intemporelle. Ils sont capables de rayonner sans la distraction des couleurs.
2. Accompagnement des photographiés : au delà du sourire
Lorsque le sujet avait donné son accord, au moment de prendre les clichés, je rappelai la plupart du temps l’essence du projet : des portraits pris à Manjushri, de gens a priori contents d’y être car ce lieu et cette tradition signifient quelque chose pour eux. L’idée était donc d’avoir à l’esprit Manjushri et tout ce à quoi c’est associé de positif. Certaines personnes faisaient spontanément un grand sourire. D’autres un visage plus apaisé. Qui éprouvait intérieurement l’amour et la paix davantage plus qu’il ne cherchait à l’exprimer explicitement. J’ai trouvé que ces visages moins souriants étaient au moins aussi intimes, profonds. Y compris dans leur complexité, voire leur ambivalence. Certains visages peuvent être un point de départ tant vers la tristesse que vers la joie. Mais c’est normal. Personne n’est unidirectionnel.
Aussi, j’imagine qu’une personne n’ayant aucune expérience directe de la vie dans un centre, une personne qui comme tout le monde a ses moments de déprime et de doute, pourrait se demander si elle a sa place dans un groupe où tout le monde sourie à pleines dents tout le temps. A fortiori si elle cherche une solution parce que, justement, la déprime et les doutes dans sa vie sont plus importants que d’habitude.
Donc après une phase où je rappelais le concept du projet (les 40 ou 50 première photos), j’ai commencé à ajouter la suggestion de sourire de l’intérieur, de ressentir un bonheur au niveau de la poitrine et du ventre, plus que de l’exprimer très explicitement.
Puis, finalement, une centaine de photos plus tard, par une phase où j’ajoutais à la précédente suggestion celle d’être soi même. Profondément. Avoir notre visage de méditation est un bon repère, il me semble, pour un visage posé, assez proche de notre centre, de notre cœur. Je proposais donc de prendre le temps de respirer, de fermer les yeux et de respirer lentement, pour descendre en soi et visualiser, ressentir. Certaines personnes ont particulièrement joué le jeu et pris quelques minutes pour respirer, méditer.
Tout ceci n’est pas facile. D’autant plus qu’au moins 95% des photos sont prises à la volée, juste après la discussion, sans préparation, sans rendez-vous, sans possibilité de se regarder dans un miroir, pour une photo prise de très près. Et en public.
Mais c’est l’un des objectifs d’une pratique spirituelle, d’être profondément sincère, si possible tout le temps. De pouvoir (re)trouver son centre, son équilibre.
À mon sens, la situation de prise de photo n’est pas artificielle, même si elle met en mouvement beaucoup de choses :
- L’objectif est un miroir, le photographié sait qu’il va se voir, se rencontrer, dans cette photographie. Il y a donc une relation de soi à soi.
- L’objectif c’est aussi le regard de l’autre, celui du photographe.
- L’objectif c’est aussi le regard de tous les autres. La communauté, et l’humanité tout entière.
Ces rapports de soi à soi, de soi au photographe et de soi au monde sont autant d’occasions de faire couler l’énergie harmonieusement ou de rencontrer des nœuds.
On peut aussi se dire qu’une photographie est une réalité artificielle, car figée, cadrée, partielle, retouchée, etc. Mais la réalité hors photographie est elle aussi une perception très subjective. Elle se trouve dans notre esprit, elle dépend de lui. Chacun peut voir la réalité différemment dans une même situation.
Il arrivait que des personnes me disent : « Je n’aime pas me faire prendre en photo, mais je veux faire partie de ce projet.» Super! Il arrivait aussi que des personnes me disent : «Si cela peut t’aider, je veux bien que tu prennes ma photo.» Je répondais, « Merci beaucoup pour ton aide, mais je n’ai pas envie d’aide, j’ai envie de personnes qui ont envie de participer parce que ça leur plait. As tu envie de participer?»
Je vois le projet comme une proposition, pas une demande. En participant, chacun fait en un sens une démarche spirituelle. Chacun accepte sa propre humanité, fait potentiellement face à ses craintes et à ses espoirs. Chacun accède aussi à son universalité, son infinité.
Le portrait n’est pas, non plus, une capture à l’insu du photographié, comme on peut en faire avec un téléobjectif, en public. J’aime beaucoup prendre des photos à distance. Mais cette fois je voulais aller à la rencontre. Offrir une participation plus que prendre une photo. Pas une photo de groupe. Une participation individuelle. Car l’individu, indivisible, est la plus petite unité sociale. Mais une unité essentielle puisque à elle peut à elle seule élever ou affaiblir la communauté – la force d’une chaine étant celle de son maillon le plus faible.
Les Kadampas ont leurs états d’âme et j’ai appris à les aimer. Quelle que soit l'expression des gens sur la photo, vouloir participer au projet est un signe en soi, un message, une intention significative. Le sentiment d’appartenance à la communauté. J’aime toutes ces photos et toutes ces personnes. La beauté de ces photos, c’est la beauté des personnes. Leur sincérité. Et cette sincérité vient de qu’ils éprouvent pour cette tradition.
3. Qui photographier ?
Impossible de photographier la totalité des milliers de personnes qui se sont trouvées à Manjushri pendant l’été 2015. J’ai donc essayé :
- D’aller à la rencontre d’inconnus chaque jour, tout en proposant également un portrait aux personnes qui j’avais déjà rencontrées.
- De varier les citoyennetés, les âges, le genre
- De proposer à des sujets ordonnés et non ordonnés
- À des non ordonnés enseignants et non enseignants
- À des résidents et à des non résidents de Manjushri
- À des gens ayant des niveaux d’ancienneté différents dans la tradition. Ceux-ci allant de une décennie ou plus (sans doutes près de la moitié des sujets) à quelques jours (seulement 2 sujets, selon mon souvenir).
J’essayais de pratiquer l’équanimité. Notamment, à l’occasion, en allant voir des gens au hasard, ou des gens qui me semblaient moins engageants.
Parmi les sujets il n’y a pas, à ma connaissance, de visiteurs quotidiens, au sens de personnes qui viendraient visiter les lieux par curiosité, de façon ponctuelle et pour quelques heures. Le projet était de photographier essentiellement des personnes ayant un lien personnel avec la tradition. Et je ne voulais prendre le risque de déranger des visiteurs, d’autant plus pour un projet personnel.
4. Combien de photographies ?
Au départ je n’avais pas de nombre cible de portraits. Je voulais déjà voir si l’idée plaisait. Et comme la grande majorité des gens réagissaient spontanément très bien, je me suis dit que j’allais continuer. J’ai atteint 70 portraits pendant les 3 semaines avant le festival. Et réalisé 130 portraits pendant les 2 semaines du festival.
Puis j’ai réalisé une quarantaine de portraits pendant les 3 semaines post festival. Dernière période pendant laquelle j’ai consacré de plus en plus de temps aux textes et à la mise en ligne.
Cependant j’ai eu un peu de mal à arrêter de faire des portraits, jusqu’au bout. Toujours cette idée que quelqu’un de très concerné par Manjushri et qui serait très content de participer se trouve là . Discrètement.
Idéalement, il aurait fallut aller voir tout le monde et intégrer dans le projet tous ceux qui le souhaitaient.
Si quelqu’un ou un groupe réalise un projet similaire à Manjushri Portraits dans la tradition, j’en serai ravi.
5. Réactions spontanées au projet
Les festivaliers, venant de loin pour un séjour bref, prenant souvent eux-mêmes des photos, étaient particulièrement ouverts et enthousiastes. D’autant plus que je pouvais leur montrer les portraits déjà réalisés, transférés sur mon téléphone portable. Les working visitors ont réagi de façon similaire.
Avec les résidents de Manjushri, j’ai parfois dû en dire davantage sur le projet, sur mon intention. Ce que je comprends tout à fait. Mon visage n’est pas familier et ma relation à la tradition relativement récente. De plus, un portrait individuel est nécessairement personnel, il implique. Quelques minutes et quelques consignes sont nécessaires pour la réalisation. Je prends la photo avec un « gros » appareil, pas un petit appareil ou un téléphone. Je demande un prénom, un pays d’origine, une adresse de courrier électronique. Surtout, le résultat sera publié sur le web, donc on ne peut plus visible.
Si j’habitais à Manjushri depuis quelque temps et qu’un relatif inconnu me proposait de participer à un tel projet, je prendrais le temps d’en savoir un peu plus sur sa démarche et son intention.
J’ai été bluffé par la spontanéité avec laquelle certains résidents acceptaient.
7 ou 8 personnes ont décliné ma proposition, invoquant le fait de ne pas aimer se faire photographier, ou ne pas vouloir être sur le web, ou ne donnant aucune raison.
Autant de personnes ont accepté mais nous n’avons pas trouvé le bon moment. Pour certains, peut être la motivation n’était-elle pas suffisante. Je comprends d’autant plus que je n’aime moi-même pas trop me faire photographier. 3 ou 4 personnes m’ont d’ailleurs demandé si je jouais le jeux moi aussi et si mon portrait allait faire partie de la collection. Vous le trouverez dans la section «who » de ce site.
Pour chaque photo j’ai dû présenter ma démarche, me présenter, faire passer quelque chose d’intime. La plupart du temps c’était aussi l’occasion de discuter, de faire connaissance. Voire d’amorcer une relation. Moins pendant le festival puisque mon rythme était plus élevé. Cependant, la publication du projet est une occasion de garder contact avec tous les photographiés.
Mais aussi, pour chaque photo, me disais-je, je prenais le risque de déranger une personne, même si mon intention est bonne. Ou, pire, de déclencher une alarme communautaire face à une démarche qui pouvait être interprétée comme intrusive. Je me sentais donc moi même très exposé par le projet. S’il pouvait aboutir, c’était une belle histoire. S’il était remis en question, c’était une douloureuse – voire fatale - incompréhension. D’où ma fébrilité.
Aborder autant de gens était un voyage. Une pratique spirituelle. Un défi. Un apprentissage. Une exploration sur le thème de la rencontre, de la présentation de soi, de l’écoute et de la compréhension de l’autre.
Tant pour moi que pour la personne que j’aborde, il est question de sincérité, de confiance. Il est question de ce subtil équilibre entre la protection et l’ouverture, entre conservatisme et innovation.
pict: Shakti (thanks!) editing: Etienne
manjushri portraits
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